Alors que le Président des Etats-Unis a à présent pris ses fonctions depuis une centaine de jours, ses priorités politiques se dessinent plus clairement.
Tout le monde s’accorde sur l’activisme du Président et de son équipe dans tous les domaines. Il a fallu par exemple à peine 58 jours pour que la politique vaccinale mise en place dès son arrivée porte ses fruits, à tel point que depuis la mi-mars, la vie reprend progressivement son cours dans le pays et l’économie amorce une franche reprise. Pourtant, en matière de politique étrangère, la dureté des propos du Président ou de son secrétaire d’Etat envers les deux rivaux systémiques des Etats-Unis, à savoir la Chine et la Russie ont pu inquiéter. Pourquoi si peu de diplomatie pour une administration qui souhaite pourtant apaiser ses relations avec le reste du monde. L’intérêt commun affiché la semaine dernière avec la Chine pour accélérer la lutte contre le changement climatique ou le retrait russe des frontières ukrainiennes laissant penser, à tort ou à raison, à un apaisement des tensions ont de ce point de vue rassuré. Il n’en reste pas moins que tous ses évènements viennent éclairer trois des grands enjeux de la présidence de Joe Biden à savoir:
- La volonté du Président de ramener l’électorat populaire à voter démocrate ;
- L’intérêt certain à défendre l’idée même de démocratie ;
- Le poids structurant de la rivalité avec la Chine
Concernant le premier point, le plan de relance à 1900 milliards de dollars a largement été commenté. Au-delà des moyens mis en œuvre, c’est la méthode qui est intéressante. Ce plan consiste en réalité à distribuer, au travers de chèques envoyés aux familles, du pouvoir d’achat en attendant et pour soutenir une reprise rapide de l’économie dont l’équipe Biden souhaite qu’elle profite d’abord aux ménages et aux classes populaires. C’est aussi pour rassurer ceux qui ont voté pour Trump alors qu’ils votaient jusque-là démocrate, qu’il s’est montré sans concession vis-à-vis de pays qui sont considérés comme des menaces pour les Etats-Unis par une partie de la population américaine.
La défense des valeurs démocratiques répond à la fois à des préoccupations intérieures et internationales. Sur le plan interne, la démocratie américaine a été grandement endommagée par l’ancien président, plus « fan » des autocrates et « hommes forts » en tout genre. Ses derniers mois, dernières semaines et même derniers jours n’ont été de ce point de vue qu’une escalade d’attaques et de remises en cause des valeurs les plus élémentaires et fondatrices de la démocratie dans ce pays. Réconcilier un pays largement polarisé et divisé est une nécessité absolue et bien comprise par la nouvelle administration. Parallèlement, l’idée démocratique est aussi un bon moyen de fédérer les alliés autour des Etats-Unis et face à la Chine. En témoigne le quasi chantage fait aux européens autour de la question du travail forcé des ouighours et du traité sur les investissements qu’ils ont signé en décembre dernier avec la Chine.
Enfin, la rivalité avec la Chine est, comme pour la précédente administration, un facteur structurant mais force est de constater que la méthode choisie est plus pragmatique, dépassant le concept presque caricatural de rivalité systémique puisque sur certains sujets, la démarche devrait être plus coopérative. Les américains y ont intérêt pour au moins deux raisons : la première étant que la guerre commerciale a eu un coût non négligeable pour l’économie américaine sans réellement permettre de réduire le déficit commercial (ce fut le cas dans un premier temps puis la pandémie et ses importations de masques et autres produits de première nécessité ont eu raison de ces progrès initiaux) ; la deuxième directement liée aux ambitions de Joe Biden d’accélérer la lutte contre le changement climatique, défi global qui ne peut être relevé sans la Chine. L’axe du pivot asiatique est de retour autour des grandes démocraties régionales, Inde, Japon, Australie et Corée du Sud.
Quelles perspectives pour les européens ?
N’en déplaise à ces derniers, ils sont somme toute un peu les « oubliés » de cette politique. Probablement convaincue que quoiqu’il arrive, les pays européens s’aligneront, cette nouvelle administration assure le service minimum pour l’instant. Certes Antony Blinken, le secrétaire d’Etat a fait le voyage en mars mais c’était essentiellement préciser les priorités américaines telles que l’abandon par l’Allemagne du gazoduc Northstream 2, un durcissement de la relation des européens avec la Chine ou encore la nécessaire revitalisation de l’alliance atlantique (certes, il n’est plus question pour les Etats-Unis de quitter l’Otan mais le partage du fardeau et de la dépense est plus que jamais un objectif. Quand à Joe Biden, invité à l’un des derniers sommets européens fin mars, il s’est exprimé quelques minutes à peine et là aussi pour rappeler les mêmes priorités.
Un document publié fin février et devant donner les premières orientations de ce que sera la future stratégie nationale de sécurité, le Interim National Security Strategic Guidance conforte cette impression. Le terme « Nato » pour qualifier l’Otan n’y est employé qu’une fois en page 10 quand « Climate » est repris 27 fois, « democracy », 23 fois et « China » 15 fois. Le mot « alliance » est employée 13 fois dont 9 fois au travers de l’expression assez floue de « Global alliance and partnership » et 3 fois pour évoquer le renforcement de l’alliance avec les démocraties asiatiques. Outre la question de l’alliance atlantique, l’Europe est évoquée une deuxième fois dans la cadre de la coopération au sein de l’OMS et autour de l’initiative Covax et implicitement sans être citée lorsque le rapport explique que « nous travaillerons avec nos alliés pour partager de manière équitable nos responsabilités, en les encourageant à investir dans leur intérêt contre des menaces communes actuelles et futures. »
Les européens ne doivent donc pas s’y tromper. La nouvelle administration continuera, et c’est bien normal, à défendre d’abord les intérêts des citoyens américains et l’Europe n’est pas, loin s’en faut sa priorité. Les européens devront donc apprendre à la fois à défendre leurs propres intérêts et à s’affirmer dans un monde certes multipolaire mais pas toujours multilatéral. Paradoxalement, une telle posture pourrait les rendre plus attractifs car des partenaires plus solides et déterminés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’administration Biden a expliqué ne pas être hostile à une autonomie stratégique européenne.
Rédigé par Sylvie Matelly
Sylvie Matelly est économiste et directrice adjointe de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle a rejoint l’IRIS en 2001 en tant que chercheur spécialiste de l’économie de la défense puis directrice de recherche (2008). Elle y mène des études et des recherches sur les questions d’industries et de politiques de défense, contrôle des exportations et corruption tant pour les institutions françaises et européennes que pour les entreprises. Elle est également membre du Comité de rédaction de La Revue internationale et stratégique.
Sylvie Matelly a publié L’Europe peut-elle faire face à la mondialisation ? (Éditions La Découverte, en collaboration avec Bastien Nivet) en 2015, Argent Sale : à qui profite le crime ? (Éditions Eyrolles, en collaboration avec Carole Gomez) en 2018 et Géopolitique de l'Économie (Éditions Eyrolles) en avril 2021.
Photographie: Gage Skidmore|Flickr.com
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